Par Hélène Mariéthoz, curatrice de l’exposition
Un site
La balade artistique s’inscrit sur le site de la renaturation de l’Aire réalisé par le groupe Superpositions. Le paysage dessiné par les architectes, urbanistes, paysagistes, hydraulicien-nes et par la rivière met en parallèle l’espace de liberté réservé au cours d’eau et le jardin crée à l’emplacement de son ancien canal. Deux natures se côtoient ainsi et s’entremêlent, faisant confluer leurs histoires géologique, agricole, urbaine, végétale ou poétique, juxtaposant passé, présent et avenir. L’inventif et audacieux projet a été honoré par le Prix du paysage du Conseil de l’Europe en 2019 , ainsi que par plusieurs autres distinctions suisses et internationales. Il a également valu à son initiateur, Georges Descombes, le Grand Prix suisse d’art 2021.
Du côté suisse, le projet de renaturation initié en 2002 prend fin avec les travaux de renaturation et de protection des habitations riveraines sur le tronçon de Perly-Certoux fin 2022. Du côté français, sur la commune de Saint-Julien-en-Genevois, les demandes d’autorisation sont déposées pour procéder au plan de renaturation qui devrait démarrer en 2024-25.
Depuis la fin des travaux des premières phases, la promenade rencontre l’engouement d’un public mélangé venu pour pratiquer du sport, apprécier l’architecture et le paysage, ou sortit en famille.
Une œuvre
Pour sa première édition, l’exposition du bord de l’Aire partait d’une double hypothèse : la perception aiguisée des spectateurs à l’égard de la nature, rendue sensible par des mois de confinement à l’évolution, voire à l’exubérance et à la consécutive domestication de la nature, et la possibilité pour les artistes d’entrer dans le paysage et de composer avec lui.
L’exposition de 2021 a été riche d’enseignements. Elle nous a appris que pour les artistes, les fortes contraintes – dont le recours à des matériaux naturels bruts et la réalisation in situ – déplaçaient leur pratique habituelle vers une importance accrue du geste et de l’outil. Les conditions météorologiques alternant fortes pluies et sécheresse et augmentées de crues capricieuses ont également transformé leur travail et leur approche de la nature. Composer n’a plus le seul sens de juxtaposer (des couleurs, des matériaux, des impressions…), mais son sens complet de résister, négocier, construire.
Autre nouveauté remarquable : quitter la solitude de l’atelier et travailler sous le regard des publics est devenu l’occasion d’échanges (sur la technique de l’œuvre, son contexte, les conditions de travail…) et d’une médiation spontanée.
Un public
Comment contemplons-nous nos paysages? Comment réagissons-nous aux changements… ? Les interventions artistiques en plein air soulèvent ces questions, parce qu’elles s’inscrivent dans le paysage et empruntent ses matériaux. Elles en proposent des variations, confrontant l’humain et la nature au mouvement du monde, participant enfin à la ‘composition progressive d’un monde commun’, que décrivait le philosophe Bruno Latour.
Certaines personnes ont exprimé le regret de ne pas avoir découvert toutes les œuvres. L’une d’elle a témoigné n’avoir pu observer la totalité des pièces qu’à l’occasion d’une balade à cheval. Ce dernier, intrigué par des changements dans son environnement, marquait un arrêt à l’approche de chaque intervention artistique, la signalant du même coup à sa cavalière. Cette anecdote soulève plusieurs questions, dont l’impossibilité pour l’œuvre de se fondre dans le paysage comme certains animaux cryptiques le font pour échapper à leur prédateur. Elle pose égalemet la question de la primauté du regard dans le mode de perception humaine. Ephémère et durable offre l’occasion d’affiner nos sens et notre curiosité.
Ce que marcher révèle…
L’exposition du bord de l’Aire est une promenade. La marche est la condition de sa visite : elle permet la relation du corps avec l’espace, révèle l’échelle des œuvres et éveille le corps et l’ensemble de ses outils de perception ; marcher donne accès à l’expérimentation du paysage et des œuvres dans leur réalité mouvante. Enfin, marcher provoque les échos d’espaces et de temporalités intérieurs.
Le chemin se fait en marchant, témoigne la performeuse Esther Ferrer. Ephémère et durable prend cette direction en proposant des œuvres artistiques qui ne regardent pas le monde mais s’engagent en lui.